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Anorexie, boulimie… Comment les médias sociaux participent au développement de troubles alimentaires

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Cet été, un hashtag bien connu a refait son apparition sur les réseaux sociaux : #Summerbody. Ce terme, qui avait généré en France 4 060 539 publications sur Instagram au 14 juin 2021, exprime une injonction qui n’est pas en soi négative : se sentir à l’aise dans son corps dénudé par les tenues et activités estivales.

Il a cependant un effet pervers, car il renforce les pressions sociales menant à l’insatisfaction corporelle et perpétue le mythe du corps parfait. Cette tendance à rechercher la minceur est tellement répandue qu’elle en devient « normative », ce qui amène certaines personnes à adopter des conduites parfois extrêmes afin de modifier leur corps : régimes à répétition, hyperactivité physique, etc. Or, ces comportements peuvent donner lieu à des troubles avérés tels que des troubles des conduites alimentaires (anorexie, boulimie…), lesquels ont des impacts importants sur la santé physique et mentale.

Les pressions poussant les individus à essayer d’atteindre le corps « idéal » existent depuis longtemps, néanmoins les réseaux sociaux leur donnent une puissance et une intensité particulières. Si l’on a vu récemment émerger un mouvement « body positive », qui a pour but d’encourager les représentations plus réalistes et s’éloignant des idéaux de minceur, celui-ci peine à diversifier le paysage des médias sociaux. En outre, il continue souvent, malgré lui, à mettre l’accent sur l’importance de l’apparence physique.

Les réseaux sociaux, force de vente pour un idéal de minceur et de muscles

De nombreux travaux ont montré que les médias traditionnels (magazines, télévision, etc.) véhiculent de fortes pressions incitant à essayer d’atteindre des idéaux corporels idéalisés et parfois irréalistes, tant pour les hommes que pour les femmes. Les images du corps qu’ils diffusent, inatteignables et irréalistes (notamment parce que retouchées) mènent à l’internalisation de l’idéal « mince et musclé » (l’idéal d’attractivité physique social actuel), puis à l’insatisfaction vis-à-vis de sa propre image corporelle.

Face à cette insatisfaction corporelle, deux types de réactions peuvent émerger. Certaines personnes s’imposent un contrôle alimentaire strict, en ouvrant la porte notamment à des troubles de l’alimentation. D’autres se lancent dans une pratique excessive de l’exercice physique, tout en manquant de cadre et de préparation physique.

Ces réactions dépendent de la mesure dans laquelle l’individu « adhère » aux idéaux de séduction et d’attractivité définis par la société : le degré d’adhésion influe en effet sur l’engagement dans des comportements destinés à se rapprocher desdits idéaux.

Un processus clé à l’œuvre est la comparaison sociale, c’est-à-dire la tendance à comparer sa propre apparence à celle d’autrui, de manière explicite ou implicite ;

La tendance à la comparaison sociale ascendante (se comparer à quelqu’un qui correspond plus que soi à l’idéal que l’on cherche à atteindre) amplifierait le lien entre l’exposition aux images médiatiques irréalistes du corps et les comportements ayant pour objectif de modifier son apparence.

Si l’internalisation de l’idéal mince et musclé est bien décrite dans le contexte des médias traditionnels, ledit idéal émerge comme encore plus puissant dans le contexte des médias sociaux, sans doute en raison des caractéristiques qui leur sont propres et contribuent à leur succès.

Satisfaction corporelle et retentissement émotionnel

En plus du contenu commercial qui y est diffusé, les médias sociaux permettent aux usagers de contribuer au contenu (photos, vidéos, etc.). Ces médias sont également interactifs, en ce sens qu’ils permettent aux usagers de recevoir et poster des commentaires.

Par ailleurs, l’expérience de chaque usager y est personnalisée par apprentissage automatique : en fonction de ses intérêts, qui sont appréhendés au travers de son activité précédente (clics, likes, etc.), des algorithmes proposent des contenus toujours plus extrêmes sur un même thème, avec une composante affective croissante, pour éviter que l’usager ne se désengage.

En se focalisant sur la satisfaction corporelle et en activant ainsi des émotions fortes, les posts des réseaux sociaux réduisent la capacité à faire des choix orientés vers des comportements favorables à la santé. Perception du corps, émotions, choix éclairés – sont des composantes fortes du modèle triadique de la régulation des émotions.

Ainsi, les réseaux sociaux peuvent participer aux liens déjà connus entre les troubles de l’image du corps, la gestion des émotions et les comportements alimentaires. Se comparer, plus ou moins fréquemment, à d’autres corps idéalisés, faire face aux contenus, aux « likes », aux commentaires, etc. a un retentissement émotionnel qu’il faut être à même de réguler. Chez certains, cette situation entraîne un risque de développer à minima, une insatisfaction corporelle passagère, voire des éprouvés émotionnels envahissants plus durables, s’accompagnant de comportements problématiques.

Régulation des émotions et développement de troubles des conduites alimentaires

Pour mieux comprendre l’impact que peuvent avoir les réseaux sociaux sur les troubles de l’image du corps ainsi que sur de possibles perturbations alimentaires, il peut être intéressant de s’appuyer sur un modèle explicatif développé dans le cadre des problématiques addictives.

Les modèles des états de dépendance actuellement dominants reposent sur une modélisation en deux branches (« dual process models »). La prise de décision concernant les problématiques addictives est déterminée par la force respective de deux systèmes distincts, mais en interaction.

Le premier est le « système émotionnel/automatique », qui repose sur les structures limbiques du cerveau (hippocampe, agdmydale, gyrus cingulaire…), particulièrement impliquées dans le traitement émotionnel des stimuli. Ce système joue un rôle dans le traitement impulsif des stimuli, et déclenche des réponses automatiques basées sur l’apprentissage émotionnel. Chez un patient souffrant d’addiction, il est responsable du comportement « automatique » d’approchement du produit en anticipation d’une émotion positive.

Le second système est le « système réflectif ». Ce système de contrôle et d’inhibition implique les régions frontales, qui interviennent dans le traitement cognitif des stimuli. Il s’appuie sur la mémoire et les fonctions exécutives, et initie une réponse délibérée et contrôlée. Ce système permet notamment d’adopter du recul sur nos comportements et de prendre des décisions en étant moins contrôlé par les émotions. Dans le cas d’une addiction, il est impliqué dans la capacité de prendre la décision de ne pas consommer un produit.

Selon les modèles des états de dépendance actuels, les troubles addictifs apparaissent lorsqu’il y a un déséquilibre entre le système émotionnel/automatique et le système réflectif. Le système impulsif se retrouve suractivé – par exemple, par une exposition répétée à des stimuli liés à l’objet de la dépendance et la récompense qui l’accompagne – alors que le système de régulation réflectif est sous-activé.

Bien qu’expérimentalement robustes et largement acceptés, ces modèles à double processus n’intégraient pas le système d’intéroception, autrement dit la capacité à évaluer de manière exacte sa propre activité physiologique (« reconnaître ses émotions » par le biais de leurs manifestations corporelles : par exemple, faire le lien entre un état d’anxiété et la perception de l’accélération de son rythme cardiaque et de sa respiration). Des travaux récents ont proposé une réinterprétation en profondeur des modèles des états de dépendance en intégrant l’intéroception, qui semble être un processus important dans les troubles addictifs.

Intégrer le système d’intéroception est d’autant plus important que ce dernier pourrait, en exacerbant l’activité du « système émotionnel » et en réduisant conjointement l’efficacité du « système réflectif », être impliqué dans une mauvaise compréhension des signaux corporels.

Selon le nouveau modèle des états de dépendance à trois composantes, lorsqu’une personne est stressée, ses capacités intéroceptives (percevoir les messages corporels comme la faim ou la satiété) et ses ressources attentionnelles et exécutives (sa capacité à contrôler ses comportements alimentaires) seraient diminuées, ce qui viendrait alimenter son trouble addictif.

Les messages diffusés sur les réseaux sociaux en particulier suractiveraient les « système émotionnel/automatique » et « intéroceptif », réduisant l’efficacité du « système réflectif ». Cela conduit à l’adoption de comportements conformes à une augmentation des émotions positives, à très court terme dans un premier temps. Dans le cas présent, cela permettrait d’expliquer l’adoption de comportements visant à correspondre à l’idéal mince et musclé.

À long terme, l’ensemble de ces facteurs (rôle des médias sociaux qui véhiculent l’idéal mince et musclé et la frustration associée, l’internalisation de cet idéal, la difficulté de gestion des émotions entraînant des comportements problématiques en lien avec cet idéal de minceur…) peuvent conduire au développement de troubles des conduites alimentaires dommageable pour la santé.

Les conséquences pathologiques du surinvestissement de l’apparence physique

Il existe principalement trois troubles des conduites alimentaires : l’anorexie mentale, la boulimie nerveuse et l’hyperphagie boulimique.

L’anorexie mentale correspond à une perte significative de poids par rapport à la taille et l’âge d’un patient, assortie d’une peur intense de prendre du poids. Elle aboutit à un amaigrissement et une dénutrition qui peut être sévère. La boulimie nerveuse est caractérisée par une peur intense de prendre du poids et de devenir gros, qui se traduit par des épisodes récurrents de compulsions alimentaires et des comportements compensatoires inappropriés : vomissements provoqués, ingestion de laxatifs, exercices physiques intenses, etc. L’hyperphagie boulimique correspond à des épisodes récurrents de compulsions alimentaires sans comportement compensatoire. La boulimie nerveuse et l’hyperphagie boulimique peuvent concerner des personnes en surpoids ou qui souffrent d’obésité, et avoir des répercussions physiques importantes.

L’un des facteurs communs entre ces trois pathologies concerne l’importance excessive accordée au poids, à l’alimentation ou à la forme du corps, même si l’origine de ces troubles est multifactorielle. Ils sont particulièrement invalidants, conduisant à une faible qualité de vie, non seulement pour les personnes concernées, mais également pour leurs proches.

Outre ces pathologies avérées, les troubles des conduites alimentaires peuvent conduire à entreprendre des régimes à répétition, à adopter des comportements alimentaires rigides, se livrer à des purges ou à l’hyperphagie, ou entreprendre des exercices physiques compulsifs, le tout affectant négativement les relations sociales et la sphère socioprofessionnelle.

L’insatisfaction corporelle peut aussi mener à des comportements à risques visant à modifier d’autres dimensions de l’apparence, en ayant recours par exemple à la chirurgie esthétique (peu soumise à la surveillance médicale), ou à des produits dangereux.

Comment réduire l’impact émotionnel des réseaux sociaux ?

Pour limiter le risque de développer des troubles des conduites alimentaires, plusieurs stratégies peuvent être mises en place.

La première est évidente : il s’agit de limiter l’exposition aux réseaux sociaux, afin de se protéger des pressions liées à l’apparence.

Il est aussi possible d’utiliser à meilleur escient la façon dont sont conçus les algorithmes, afin de rendre l’expérience plus positive. Si l’on recherche principalement des contenus qui ont un impact positif, ou qui sont en lien avec d’autres centres intérêts et valeurs (l’écologie, la culture, etc.), l’algorithme proposera alors autant de nouveaux contenus sur ces thématiques, permettant d’éviter le #summerbody.

Exercer sa pensée « critique » est également un bon moyen de limiter l’impact délétère des réseaux sociaux. Il est important de se rappeler que les images qui y circulent sont largement irréalistes, filtrées, et choisies en visant la promotion du soi ou d’un produit. Photos et vidéos sont généralement le résultat d’un nombre considérable de prises de vues et de retouches. Vous vous sentez insatisfait ? C’est normal, c’est l’effet recherché…

En repérant quels contenus, profils, thématiques, etc. sont les plus liés aux pensées et émotions négatives, déclenchent des résolutions de se mettre au régime/sport, il est possible de modifier son utilisation des réseaux. Reste ensuite à éviter de consulter de tels contenus. Certains influenceurs qui se réclament d’un idéal de santé peuvent en réalité surtout mettre en avant l’idéal « mince et musclé », ce qui n’est pas nécessairement synonyme de bonne santé, d’autant moins si cela augmente le risque de troubles du comportement alimentaire.

Enfin, il faut savoir écouter son corps, notamment avec des pratiques telles que la méditation pleine conscience, qui permet de se centrer davantage sur ses perceptions corporelles. De cette façon, il est possible d’améliorer ses capacités d’intéroception et donc de mieux tenir compte de ses besoins physiologiques.

En définitive, il est important de tendre vers une « acceptation de soi tel que l’on est » : être à l’écoute de ses besoins physiologiques, agir en cohérence avec ses valeurs et faire des choix qui nous correspondent, sans céder à la pression extérieure. Ce n’est pas toujours simple, mais c’est le prix à payer pour diminuer son stress et améliorer sa santé mentale…



Valentin Flaudias, Maitre de conférences en psychologie, Université Clermont Auvergne (UCA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.

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